Le pouvoir numérique s’emballe!
La semaine dernière a été marquée par trois annonces majeures issues du monde technologique, mais dont les implications dépassent largement le cadre numérique.
Ces événements, en apparence déconnectés, révèlent une dynamique inquiétante : la concentration des richesses et du pouvoir entre les mains de quelques acteurs…
TikTok : de bannissement à réhabilitation
Aux États-Unis, TikTok, la célèbre application de partage de vidéos appartenant à la société chinoise ByteDance, a été au cœur de la polémique. Initialement bannie pour des raisons de sécurité nationale, la plateforme a finalement été réhabilitée, grâce à une intervention directe de Donald Trump, qui avait pourtant orchestré ce bannissement quelques années plus tôt.
Ce retournement illustre un paradoxe : TikTok, bien plus qu’une simple application de divertissement, est perçue comme un levier de pouvoir. Son algorithme, conçu pour captiver l’attention, influence profondément la culture, les opinions et les comportements, en particulier chez les jeunes générations.
Mais à qui profite cette saga ?
Le bannissement temporaire de TikTok a servi les intérêts des géants américains comme Meta et YouTube, qui se sont empressés de capter l’attention des utilisateurs. La réhabilitation de l’application semble quant à elle liée à des jeux politiques et économiques où TikTok devient un pion stratégique dans les tensions sino-américaines.
2. SpaceX : entre innovation et concentration du pouvoir
Jeudi dernier, la fusée Starship de SpaceX, présentée comme la plus puissante jamais construite, a explosé après seulement quatre minutes de vol. Si Elon Musk a rapidement qualifié cet événement de "succès pour les tests", cette explosion a soulevé des questions importantes sur le modèle d’innovation accélérée que représente SpaceX.
Pourquoi est-ce inquiétant ?
SpaceX illustre la concentration du pouvoir technologique dans les mains d’un seul homme. En contrôlant des infrastructures critiques comme les satellites Starlink, Elon Musk détient une influence majeure, parfois au détriment de la collaboration internationale qui a historiquement caractérisé l’exploration spatiale.
Cet incident rappelle que l’innovation à marche forcée, célébrée comme un progrès, peut aussi avoir des coûts humains, environnementaux et éthiques. Pendant ce temps, d’autres milliardaires comme Jeff Bezos continuent à entrer dans la course, transformant l’espace en terrain de jeu pour les élites.
3. Trump et sa cryptomonnaie : quand l’économie devient un acte politique
Enfin, Donald Trump a récemment annoncé le lancement de sa propre cryptomonnaie, quelques jours avant sa prise de fonction. Cette initiative n’est pas anodine : elle transforme la monnaie en un symbole politique et identitaire. Acheter cette cryptomonnaie, c’est afficher son soutien à Trump de manière concrète, renforçant le lien tribal entre lui et ses partisans.
Quels sont les risques ?
Une cryptomonnaie contrôlée par un leader populiste pose de nombreuses questions. Elle peut contourner les régulations financières, échapper aux sanctions, et même financer des activités controversées. Si cette initiative réussit, elle pourrait ouvrir la voie à d’autres leaders, accentuant la fragmentation économique mondiale.
Le pouvoir numérique, socle des pouvoirs traditionnels
Historiquement, les démocraties reposaient sur une séparation claire des pouvoirs : le législatif, le judiciaire et l’exécutif, avec, au fil du temps, l’ajout du "quatrième pouvoir", celui des médias, garant de la transparence et de l’information publique. Aujourd’hui, une nouvelle réalité s’impose : le pouvoir numérique est devenu le socle indispensable de ces pouvoirs. Il ne s’agit plus simplement d’un outil ou d’un canal, mais d’une infrastructure sous-jacente qui les conditionne tous.
Prenons l’exemple du pouvoir médiatique : il est aujourd’hui fortement dépendant des plateformes numériques comme Meta, X (anciennement Twitter), ou Google, qui contrôlent l’accès à l’information et la manière dont elle est diffusée. De même, le pouvoir exécutif, comme en témoigne la guerre numérique entre TikTok et les États-Unis, se heurte aux limites imposées par la souveraineté technologique d’autres nations ou entreprises. Même le pouvoir judiciaire s’appuie de plus en plus sur des outils numériques pour la collecte de preuves, l’analyse d’informations, ou encore la régulation des activités en ligne.
Le pouvoir numérique n’est plus un "cinquième pouvoir" à ajouter à la liste, mais bien une couche transversale et omniprésente qui soutient, influence, ou parfois manipule les autres pouvoirs traditionnels. Cette dépendance pose une question fondamentale : dans quelle mesure ces pouvoirs, censés garantir la démocratie et l’équilibre, peuvent-ils réellement agir de manière autonome si leurs bases numériques sont entre les mains d’acteurs privés ou de nations étrangères ?
Conclusion : Repenser nos bases démocratiques à l’ère numérique
Ces trois annonces – le bannissement puis le retour de TikTok, l’explosion de Starship, et le lancement de la cryptomonnaie de Trump – révèlent une dynamique profonde et inquiétante : la montée en puissance d’un pouvoir numérique, désormais indispensable, mais concentré dans les mains de quelques acteurs.
Alors que les démocraties modernes se sont construites sur un équilibre délicat entre les différents pouvoirs, le numérique est venu bouleverser cet équilibre. Il est devenu la fondation invisible sur laquelle reposent non seulement nos institutions, mais aussi nos libertés individuelles et collectives.
Face à cela, il est essentiel de repenser nos régulations pour inclure ce pouvoir transversal et d’investir massivement dans l’éducation numérique. Les citoyens doivent comprendre non seulement les outils qu’ils utilisent, mais aussi les dynamiques qu’ils alimentent. Car dans un monde où tout repose sur le numérique, notre capacité à protéger nos droits, nos libertés et notre souveraineté passe par une maîtrise collective de ce pouvoir qui structure désormais nos sociétés.
En somme, il ne s’agit pas seulement de critiquer les géants technologiques, mais de redéfinir nos bases démocratiques pour qu’elles restent solides à l’ère numérique. C’est une question de survie pour notre équilibre sociétal et pour l’avenir de nos institutions, et ça commence par l’éducation numérique pour tous.